Vous êtes l’héritier de la succession d’un proche et vous vous apercevez qu’il manque une partie du patrimoine. Intrigué par des actes de vente suspicieux ou des retraits de sommes d’argent importants et non justifiés sur les comptes bancaires du défunt, vous vous demandez s’il n’est pas trop tard pour lever les doutes et agir ?
L’article 223-15-2 du Code pénal définit l’abus de faiblesse comme le fait, pour une personne, d’exercer des pressions graves ou réitérées ou des techniques propres à altérer le jugement d’une autre personne pour la conduire à un acte ou à une abstention qui lui est gravement préjudiciable. Cela signifie que l’acte en question doit aller à l’encontre des intérêts de la victime.
Le texte précise que la victime des pressions exercées contre elle doit se trouver dans un état d’ignorance ou une situation de faiblesse (en raison de son âge, de sa vulnérabilité ou de son état de sujétion psychologique ou physique) pour que l’abus de faiblesse soit constitué.
L’auteur de l’abus de faiblesse doit avoir conscience de l’incapacité de la victime à mesurer la portée de ses actions, et avoir l’intention de l’exploiter pour son bénéfice personnel. L’acte doit également causer un préjudice à la victime, par une action ou une abstention. Par exemple, il peut s’agir du fait d’inscrire comme seul bénéficiaire du testament l’auteur de l’abus de faiblesse ou le fait d’obtenir procuration sur les comptes bancaires pour y retirer des sommes importantes à son profit.
Sur le terrain pénal, l’abus de faiblesse constitue un délit qui est sanctionné d’une amende pouvant aller jusqu’à 375 000 euros et jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
Pour la partie civile, l’article 414-1 du Code civil dispose que “Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.” Sur le fondement de cette disposition, il sera alors possible de demander la nullité de l’acte juridique ayant été pris par la personne dont les facultés mentales n’étaient pas pleinement établies. En conséquence, cette disposition permet d’anéantir l’acte litigieux, tant dans ses effets futurs que passés, et est réputé n’avoir jamais existé.
Vous venez de découvrir l’existence de faits pouvant caractériser un abus de faiblesse dans le cadre de la succession ? Vous êtes inquiet car ces faits remontent à plus de 5 ans et vous vous interrogez sur les délais de prescription… Pouvez-vous encore agir ?
L’abus de faiblesse étant notamment une infraction pénale, depuis la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, le délai de prescription pour abus de faiblesse est de six ans. Pour ce type d’infraction, la loi considère que le délai commence à courir du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée.
Lorsque les abus ont été répétés dans le temps, le délai de prescription ne commence à courir qu’à compter du dernier acte (Cass. Crim., 27 mai 2004, n° 03-82738). C’est par exemple le cas en présence de plusieurs retraits de d’argent avant décès, ou de dons d’argent au médecin qui a suivi le défunt avant son décès.
Attention, il convient toutefois d’être prudent. En effet, malgré l’avantage procuré par la naissance du point de départ du délai en fonction de la découverte de l’infraction, ce délai ne peut excéder douze années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.
Il est important de noter que seule la victime de l’abus de faiblesse peut porter plainte. Les proches ne sont autorisés à faire valoir les droits du défunt qu’après le décès de ce dernier, lorsqu’ils viennent en qualité d’héritiers et que l’abus concerne l’héritage.
Vous pourrez alors porter plainte auprès du Procureur de la République en adressant au Tribunal judiciaire une lettre recommandée justifiant l’abus de faiblesse, et demandant l’ouverture d’une information judiciaire.
L’abus de faiblesse constitue, sur le plan civil, un vice du consentement dans la mesure où la victime qui a contracté l’acte s’est vue extirper son consentement à la suite d’un abus de sa position de faiblesse ou de sa particulière vulnérabilité.
Dans une telle hypothèse, l’action en nullité pour vice du consentement se prescrit après cinq ans à compter de la découverte du vice du consentement, notamment par les héritiers.
Deux choix s’offrent alors aux héritiers qui souhaitent se prévaloir d’un abus de faiblesse sur le plan civil : soit la possibilité d’exercer une action autonome devant le juge civil, soit la possibilité de se constituer partie civile devant la juridiction pénale dès lors qu’il est en mesure de se prévaloir d’un préjudice personnel et direct (Cass. Crim., 22 janvier 2020, n° 19-82.173). Dans le cadre de cette action, l’héritier peut demander la réparation du préjudice subi en ce que l’abus exercé a fait diminuer la valeur de son héritage.
Celui qui agit en nullité de l’acte, peu importe la nature, la cause ou l’étendue du trouble, doit prouver qu’il est de nature à exclure une volonté consciente. L’appréciation de ce dernier est souverainement laissée aux juges du fond. S’il s'agit de démence persistante, la jurisprudence permet un assouplissement de la règle de la preuve. Il reviendra alors au défendeur de prouver que l’acte a été conclu pendant un intervalle lucide.