Vous êtes un enfant naturel défavorisé lors du partage successoral et vous souhaiteriez le remettre en cause, puisque la loi française interdit aujourd’hui les discriminations entre les héritiers ? Au contraire, vous craignez les effets d’une telle contestation ? Un nouvel arrêt du 22 mars 2017 nous renseigne sur l’équilibre entre deux droits : celui du principe d’égalité entre héritiers et celui des droits acquis en justice.
En l’espèce, une mère de trois enfants, dont deux filles issues de son union et une fille née avant son divorce (fille « adultérine » selon les termes du droit antérieur) avait légué par testament l’ensemble de la quotité disponible à cette dernière. La réserve héréditaire fut distribuée selon les principes du droit antérieur à la loi de 2001, supprimant les inégalités entre héritiers. Ces règles prévoyaient une répartition défavorable pour l’enfant dit adultérin.
Le droit antérieur prévoyait, pour le cas d’espèce, que chacune des deux filles légitimes devait recevoir un tiers de la succession, tandis que la fille adultérine un sixième. Le sixième non distribué à la fille adultérine était alors partagé entre les deux enfants légitimes (leur attribuant ainsi à chacune cinq douzièmes de l’actif successoral).
Par ailleurs, l’une des filles, née de l’union, décida de renoncer à ses droits successoraux et de les céder à l’autre fille légitime. Un jugement irrévocable d’avril 1993 avait donc « ordonné le partage de la succession et décidé que l’actif et le passif successoraux seraient répartis à concurrence des cinq sixièmes au profit de la fille légitime (cessionnaire des droits de sa sœur légitime) et d’un sixième au profit de la fille adultérine, légataire de la quotité disponible.
Les biens restèrent en indivision jusqu’en 2013 où un litige émergea pour ordonner la licitation des biens immobiliers dépendant de l’indivision successorale. Préalablement, la fille adultérine voulu également se voir reconnaître des droits à concurrence de moitié sur l’actif successoral en demandant une nouvelle répartition des biens sur le fondement des nouvelles règles dont dispose les articles 733 et suivants du Code civil et des droits garantis par les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 1er du Protocole n° 1.
Toutefois, la Cour de cassation rejette la demande d’une nouvelle répartition et fait application de l’article 25, II, 2°, de la loi du 3 décembre 2001 qui dispose qu’une décision judiciaire irrévocable permet d’exclure, dans les successions déjà ouvertes, les droits nouveaux des enfants dont l’un des parents était, au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage. La Cour considère ainsi que garantir les droits acquis en justice « n’a pas porté une atteinte excessive aux droits » de l’enfant adultérine.
Cette décision de la Cour de cassation n’est pas très surprenante puisque la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) avait jugé, le 21 juillet 2011, que les droits acquis pouvaient effacer la discrimination entre les enfants adultérins et les enfants légitimes (Cour EDH, 5e Sect. 21 juillet 2011, Fabris c. France).
Dans cette affaire, la Cour avait rejeté l’argumentation du demandeur qui se plaignait d’« une discrimination injustifiée fondée sur son statut d’enfant adultérin » l’ayant empêchée « de faire valoir ses droits successoraux ». Certes, la loi française avait porté atteinte à ses droits successoraux, mais la question était de savoir si la loi applicable dans l’affaire examinée et les dispositions transitoires étaient injustifiées. La France arguait en effet poursuivre un « but légitime », celui de « préserver la sécurité juridique » et de « garantir une certaine paix des rapports familiaux en sécurisant des droits acquis dans ce cadre ».
La CEDH juge suffisante l’importance du principe de sécurité juridique pour justifier « la différence de traitement entre les enfants légitimes […] et le requérant [enfant adultérin], quant à la succession de leur mère ». « À cet égard, la Cour est d’avis que les juridictions nationales ont correctement mis en balance les intérêts en présence, à savoir les droits acquis de longue date par les enfants légitimes (…) et les intérêts pécuniaires du requérant, en appliquant les dispositions transitoires prévues par les lois de 1972 et de 2001 dans cette situation spécifique. »
Il semble donc raisonnable de considérer que l’application de l’article 25 de la loi de 2001, en ce qu’il fait réserve des décisions judiciaires irrévocables, ne porte pas une atteinte excessive aux droits de l’enfant naturel garantis par les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 1er du Protocole n° 1.
Illustration de la décision de Cour de cassation du 22 mars 2017
« Mais attendu, d’abord, que l’arrêt, par motifs propres et adoptés, énonce qu’en application de l’article 25, II, 2°, de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001, seul un partage réalisé, un accord amiable intervenu ou une décision judiciaire irrévocable permettent d’exclure, dans les successions déjà ouvertes, les droits nouveaux des enfants dont l’un des parents était, au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage ; qu’il constate que le jugement du 13 avril 1993 a déterminé les droits successoraux des héritiers ; qu’il retient que la sécurité juridique résultant d’un jugement irrévocable satisfait un but légitime en ce qu’elle fait obstacle à la remise en cause, sans limitation dans le temps, d’une répartition définitivement arrêtée en justice des biens de l’actif successoral entre des héritiers ; qu’il ajoute que l’absence de partage effectif des biens indivis est restée sans influence sur la connaissance que les parties avaient définitivement acquise, depuis 1993, de la répartition entre elles de l’actif de la succession ; qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu en déduire que l’application de l’article 25 précité, en ce qu’il fait réserve des décisions judiciaires irrévocables, n’avait pas porté une atteinte excessive aux droits de Mme Y... garantis par les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 1er du Protocole n° 1 ;
Et attendu, ensuite, qu’ayant constaté que le jugement du 13 avril 1993 avait irrévocablement réparti les droits successoraux des parties, la cour d’appel en a justement déduit que la nouvelle demande de répartition formée par Mme Y... ne pouvait être accueillie, fût-ce au regard d’une jurisprudence postérieure de la Cour européenne des droits de l’homme »
Sources : Cour de cassation, 1e chambre civile, 22 mars 2017, 16-13946 ; Cour EDH, 5e Section, 21 juillet 2011, Fabris c. France, 16574/08