Le 4 mai dernier, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la constitution l’article 1754 IV du code général des impôts. Ainsi, les héritiers se voient transmettre « les amendes, majoration et intérêts dus par le défunt ou la société dissoute ».
L’article 1754 IV du CGI dispose « en cas de décès du contrevenant ou s'il s'agit d'une société, en cas de dissolution, les amendes, majorations et intérêts dus par le défunt ou la société dissoute constituent une charge de la succession ou de la liquidation ».
Rappelons un principe résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « nul ne peut être punissable que de son propre fait ». Cela induirait naturellement que les héritiers ne peuvent être tenus de payer les dettes de leurs parents. Cependant, lorsque l’on accepte une succession, on accepte tout, les avantages comme les inconvénients.
Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi de cette question, il a d’abord considéré, en vertu de sa jurisprudence, que les pénalités fiscales ne pouvaient pas être transmises aux héritiers. En effet, depuis 1982, le Conseil considère que les sanctions fiscales ont le caractère d’une punition et, par conséquent, ne peuvent se transmettre lors de la succession.
Dans sa décision du 4 mai 2012, les Sages ont opéré une distinction entre les majorations et intérêts de retard d’un côté, et les amendes et majorations sanctionnant le contrevenant de l’autre. Ainsi les premiers ont « pour seul objet de réparer le préjudice subi par l’Etat du fait du paiement tardif de l’impôt » et n’ont donc aucun « caractère punitif ».
Par contre, les amendes et majorations « doivent être considérés comme des sanctions ayant le caractère d’une punition ». Pour ce dernier cas, le principe selon lequel nul n’est responsable que de son propre fait s’applique.
Par conséquent, seuls les majorations et intérêts de retard peuvent être transmis aux héritiers car ils n’ont pas de caractère punitif. Leur objet est de réparer le préjudice que l’Etat a subi en raison du paiement tardif de l’impôt.
L’héritier pourra bien sûr contester ces pénalités. Cette action ne pourra en aucun cas avoir pour effet l’aggravation de la sanction initialement prononcée.
Décision n° 2012-239 QPC du 04 mai 2012
« Le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 février 2012 par le Conseil d'État (décision n° 352200 du 22 février 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Ileana A., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du IV de l'article 1754 du code général des impôts.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour Mme Ileana A. par la SCP Celice-Blancpain-Soltner, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 14 et 29 mars 2012 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 15 et 30 mars 2012 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Frédéric Blancpain, pour la requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 17 avril 2012 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du IV de l'article 1754 du code général des impôts : « En cas de décès du contrevenant ou s'il s'agit d'une société, en cas de dissolution, les amendes, majorations et intérêts dus par le défunt ou la société dissoute constituent une charge de la succession ou de la liquidation » ;
2. Considérant que, selon la requérante, en permettant de mettre à la charge des héritiers des pénalités fiscales faisant l'objet d'une contestation devant les juridictions au jour du décès du contribuable fautif, ces dispositions méconnaissent les exigences découlant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789, « la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que, selon son article 9, tout homme est « présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable » ; qu'il résulte de ces articles que nul ne peut être punissable que de son propre fait ; que ce principe s'applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition ;
4. Considérant qu'en vertu des dispositions contestées, sont mises à la charge de la succession ou de la liquidation « les amendes, majorations et intérêts dus par le défunt ou la société dissoute » ; que les majorations et intérêts de retard ayant pour seul objet de réparer le préjudice subi par l'État du fait du paiement tardif de l'impôt ne revêtent aucun caractère punitif ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 est inopérant à leur égard ;
5. Considérant, en revanche, que les amendes et majorations qui tendent à réprimer le comportement des personnes qui ont méconnu leurs obligations fiscales doivent, quant à elles, être considérées comme des sanctions ayant le caractère d'une punition ; que le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait leur est donc applicable ;
6. Considérant que les dispositions contestées prévoient la transmission des pénalités fiscales uniquement lorsqu'elles sont dues par le défunt ou la société dissoute au jour du décès ou de la dissolution ; que, par suite, elles ne permettent pas que des amendes et majorations venant sanctionner le comportement du contrevenant fiscal soient prononcées directement à l'encontre des héritiers de ce contrevenant ou de la liquidation de la société dissoute ;
7. Considérant que ces pénalités sont prononcées par l'administration à l'issue d'une procédure administrative contradictoire à laquelle le contribuable ou la société a été partie ; qu'elles sont exigibles dès leur prononcé ; qu'en cas de décès du contribuable ou de dissolution de la société, les héritiers ou les continuateurs peuvent, s'ils sont encore dans le délai pour le faire, engager une contestation ou une transaction ou, si elle a déjà été engagée, la poursuivre ; que cette contestation ou cette transaction ne peut avoir pour conséquence de conduire à un alourdissement de la sanction initialement prononcée ; que, par suite, en prévoyant que ces pénalités de nature fiscale, entrées dans le patrimoine du contribuable ou de la société avant le décès ou la dissolution, sont à la charge de la succession ou de la liquidation, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait ;
8. Considérant, par ailleurs, que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
D É C I D E :
Article 1er.- Le IV de l'article 1754 du code général des impôts est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 mai 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ ».
Rendu public le 4 mai 2012.
Journal officiel du 5 mai 2012, p. 8014