Le droit a pour but d’harmoniser les rapports humains, d’éviter les conflits et de les régler lorsqu’ils éclatent. A ce titre, il doit, pour chaque nation correspondre à la culture, à la mentalité et aux mœurs de ceux auxquels il s’applique. Le droit évolue donc en fonction des modifications de la société, mais toujours avec un peu de retard afin de tenir compte de ce que toute une population n’évolue pas de la même façon, et ce, même à l’occasion d’une révolution. Focus sur les règles applicables en matière de contrat d’assurance vie et de réserve héréditaire.
Notre droit successoral est une parfaite illustration de ces généralités, que nous esquisserons à grands traits sans renter dans les détails et les péripéties. Ainsi, à l’origine, le droit d’aînesse avait pour but de protéger l’intégrité de la propriété foncière, pilier de l’économie. La Révolution de 1789 rétablit l’égalité successorale, ayant même envisagé de supprimer l’héritage, mais c’était une disposition idéologique afin d’anéantir l’aristocratie.
Très vite, d’autant que beaucoup étaient devenus de grands propriétaires fonciers par l’achat des biens nationaux, on revint à une législation qui préservait la propriété foncière et la maintenait dans les familles.
Pour cela, jusqu’en 1972 (article 765 Loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation), le conjoint survivant, presque toujours une femme, n’avait que peu ou aucun droit dans les successions, sauf volonté assez limitée de l’autre époux. Afin notamment de pallier le morcellement, on créa la quotité disponible qui permettait de gratifier l’un des héritiers d’une portion de la succession. Des dispositions permettaient qu’une entreprise soit attribuée de préférence à l’un des héritiers.
Le principe de l’égalité successorale chère aux révolutionnaires avait vécu, n’étant plus sauvegardé que par le rapport des libéralités, la réduction de ce qui excède la quotité disponible. Mais les mœurs ont évolué, le patrimoine n’est plus principalement foncier et la notion de famille est à présent plus horizontale que verticale.
L’extension des droits du conjoint survivant le montre puisqu’il évince à présent les collatéraux, et seulement depuis 2001 (loi du 3 décembre 2001), seuls peuvent encore diminuer ses droits l’existence d’ascendants en l’absence d’enfant, et s’il n’y a ni l’un, ni l’autre, le conjoint survivant hérite de tout.
La réserve héréditaire a déjà commencé à être grignotée, dans le cadre de cette évolution globale de la société :
La dérogation au principe de la réserve se poursuit, comme en témoigne la récente jurisprudence, en estimant par exemple « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d'espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ; »
Dans un arrêt du 27 septembre 2017, la Cour de cassation a ainsi considéré que si « le dernier domicile du défunt est situé dans l'État de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux États-Unis, où son installation était ancienne et durable » et si « les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin », la loi californienne applicable à la succession n’a pas lieu d’être écartée au profit de la loi française (Cour de cassation, civ1, 27 septembre 2017, N° de pourvoi: 16-17198).
Les contrats d’assurance-vie sont également un moyen de contourner la réserve, le législateur ayant décidé en 1976 qu’ils étaient hors succession. Mais comme le législateur ne va jamais au bout de la logique des dispositions qu’il crée (afin d’éviter de trop grands bouleversements), il a permis de les réintégrer à la succession si les primes étaient « manifestement exagérées ».
Le Juge a un large pouvoir d’appréciation :
Un important et volumineux rapport a été remis au Garde des Sceaux le 13 décembre 2019 sur la réserve héréditaire, rapport élaboré sous la direction de Madame le Professeur Cécile PERES et de Maître Philippe POTENTIER, Notaire.
Ce rapport fait un point sur la réserve, dans le temps, et l’espace et contient des propositions. Parmi de nombreuses mesures, il propose de soumettre l’assurance vie au droit commun des successions et des libéralités. Les auteurs du rapport estiment que l’exclusion des contrats d’assurance vie fragilise la réserve et qu’elle n’est pas fondée en droit, car c’est en fait une manière de contourner la notion de réserve en faisant sortir des biens du patrimoine du défunt. Ils estiment par ailleurs que la réintégration des contrats d’assurance vie compenserait une de leur proposition de modifier les modalités de calcul de la réserve qui tentent à la limiter.
On passerait dans cette proposition, de la situation actuelle de la moitié en présence d’un enfant, aux deux tiers en présence de deux enfants et aux trois quarts en présence de trois enfants et plus à la moitié en présence d’un enfant et aux deux tiers en présence de deux enfants et plus. Cette proposition diminuant l’assiette de la réserve, aurait pour but d’augmenter la liberté de disposer.
Si la réintégration des contrats d’assurance vie à la succession devait être instituée, des exceptions ne seraient pas écartées, notamment si l’existence d’une libéralité était établie, par exemple en l’absence de faculté de rachat stipulée dans le contrat.
Nous voyons ici l’illustration de ce que nous avons souligné plus haut : les choses bougent, mais très lentement, puisque les effets d’une réforme sont pondérés par les effets d’une autre réforme.
Il est certain que si cette dernière proposition devait être retenue, il existera des contentieux, les bénéficiaires cherchant à éviter de devoir rapporter à la succession le montant de l’assurance qu’ils auront perçu.
On ne pourra d’autre part jamais empêcher un héritier de considérer que lorsqu’un cohéritier ou un tiers a été gratifié de quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros grâce à une assurance-vie souscrite par le défunt, cette somme soit sortie du patrimoine du défunt d’une manière ou d’une autre, et aura en tout état de cause amoindri l’actif successoral à son détriment. Il cherchera donc à en récupérer une partie et seul un Juge lui permettra d’avoir satisfaction.
Un Notaire ne peut en effet, sans l’accord de toutes les parties, réintégrer un contrat d’assurance-vie dans une succession et, s’il le fait avec l’accord de tous les héritiers et bénéficiaires, ce ne peut être que dans un partage transactionnel assez compliqué à établir, notamment à l’égard des effets fiscaux de l’opération.
Que la situation actuelle perdure ou qu’un texte vienne modifier l’article L 132-13 du Code des assurances qui dispose que :
« Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.
Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. »
Il y aura toujours des contentieux d’une grande complexité. Il convient en effet de conduire une étude très affinée de la situation successorale, de faire même des simulations de liquidation, afin de déterminer les conséquences pour chaque partie de la réintégration d’un contrat d’assurance-vie à une succession.