La donation au dernier vivant est la donation privilégiée entre époux, car elle permet en effet de protéger et favoriser le conjoint survivant. Le principe est simple : c’est un moyen de donner à son conjoint une part plus importante du patrimoine sans pour autant évincer les enfants. Soumise à de nombreuses conditions, elle génère parfois des conflits lors de la succession, notamment lorsque les enfants héritiers sont issus d’une union précédente ou extraconjugale.
La donation au dernier vivant est aussi appelée institution contractuelle. Il s’agit d’un contrat par lequel une personne, l’instituant, s’engage à laisser à sa mort à une autre personne, l’institué, une partie ou la totalité de ses biens. Autrement dit, le donateur va pouvoir léguer tout ou partie de sa fortune à son conjoint survivant, en cas de décès.
Toutefois, cette donation ne prendra effet qu’à la date du décès de l’époux. Ainsi, le donateur peut gérer sa fortune durant toute sa vie.
Cela signifie que la donation porte sur les biens à venir. Par principe, ces donations de biens à venir, aussi appelées pactes sur succession future, sont prohibées en droit français. Cependant, en matière matrimoniale, elles peuvent être prévues dans le contrat de mariage ou alors, entre les époux, plus tard, pendant le mariage, quel que soit le régime matrimonial, donc même en cas de séparation de biens. La Cour de cassation juge qu’à la différence de celle qui intervient par contrat de mariage, l'institution contractuelle consentie entre époux est une libéralité à la fois révocable et de biens à venir (Cass. Civ. 1re, 8 novembre 1982, n° 81-15.711). Cette révocation peut être dissimulée à l’autre époux.
La validité d’une telle donation est soumise à plusieurs conditions. Formellement, les époux doivent passer par un Notaire pour établir l’acte dans la mesure où il faut un acte notarié, à peine de nullité de l’acte. Par ailleurs, il convient de respecter les conditions de droit commun, à savoir un consentement libre et éclairé (exempt de vices) et la capacité de contracter.
En outre, une donation au dernier des vivants ne concerne que les couples mariés, de sorte que les concubins et les partenaires d’un PACS ne sont pas concernés. De même, le donateur n’a pas la possibilité de toucher à la réserve héréditaire en présence d’enfants, dans la mesure où celle-ci est légalement protégée par le droit des successions. Dès lors, la donation ne peut toucher que la quotité disponible.
Le problème d’une telle donation au conjoint survivant, c’est qu’elle risque d’empiéter sur l’héritage des enfants héritiers.
En droit des successions, les enfants du défunt, aussi appelés héritiers réservataires, ont droit à une part de succession définie par la loi, en quelque sorte une part « intouchable ». Dès lors, le conjoint survivant ne pourra recueillir que ce qui n’est pas dévolu aux enfants, c’est-à-dire la quotité disponible spéciale.
En effet, « en présence d'enfants ou de descendants, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession, de sorte qu'il ne peut recevoir une portion de biens supérieure » à ce qui lui est ouvert en la matière (Cass. Civ. 1re, 25 octobre 2017, n° 17-10.644).
Dès lors, les héritiers pourront contester la donation dans la mesure où elle ne respecte pas la répartition des parts devant revenir à chacun et plus précisément, dépasse la quotité disponible. C’est en effet ce qu’a affirmé la 1ère chambre civile de la Cour de cassation : « Les donations, rapportables ou non, sont réductibles si elles excèdent la quotité disponible et la réduction de celles consenties à un successible a lieu en valeur » (Cass., 1ère Civ, 13 mars 2001, 00-18.306).
Comment savoir si la part qui revient au conjoint survivant dépasse la quotité disponible ? Il faut pour cela étudier les règles de dévolution successorale afin de comprendre les conflits qui peuvent survenir.
Lorsqu’il n’y a que des enfants issus du même couple, par principe, le conjoint survivant a la possibilité de choisir entre la totalité de l’usufruit du patrimoine ou le quart en pleine propriété. En présence d’une donation entre époux, les droits du conjoint survivant sont étendus. En effet, au titre de ces options se rajoute la possibilité de récupérer :
Lorsqu’il y a des enfants qui sont issus d’un premier lit, par principe, le conjoint perd sa possibilité de choisir et hérite donc du quart de la pleine propriété. En cas de donation au dernier vivant, le conjoint survivant retrouve la possibilité de choisir et a la possibilité de récupérer :
Finalement, dans ces deux situations, le conjoint survivant qui bénéficie d’une donation détient les mêmes options.
Lorsque le défunt n’a pas d’enfants, en l’absence de donation, ¼ de l’actif successoral revient aux parents survivants. Il revient alors au conjoint survivant les ¾ de la succession lorsqu’un seul parent est survivant ou ½ lorsque les deux sont encore vivants. La réforme de 2006 a supprimé la réserve héréditaire des parents (applicable depuis le 1er janvier 2007). Par conséquent, lorsqu’une donation entre époux est prévue, les parents sont évincés de la succession et la totalité du patrimoine revient au conjoint survivant.
Lorsqu’il n’y a ni enfants ni parents, la totalité revient au conjoint survivant, même en l’absence de donation.
Après le choix du conjoint survivant, les enfants reçoivent le reste. C’est à ce moment-là qu’un conflit peut surgir, notamment s’ils ne sont pas en accord avec le choix fait par le conjoint ou s’ils s’estiment spoliés.
Lorsqu’une donation a été conclue alors que l’épouse entretenait des relations extraconjugales ayant perduré jusqu’au décès du donateur, les juges considèrent que l’adultère, injure grave envers le mari, constitue une cause de révocation de la donation qui doit être demandée par les héritiers (Cass. Civ. 1re, 25 octobre 2017, n° 16-21.136). Toutefois, l’ingratitude du donataire n’emporte pas révocation en raison des circonstances familiales particulières.
Par ailleurs, la donation au dernier vivant faite lors d’un second mariage à la nouvelle épouse entraîne la révocation tacite de celle précédemment consentie à l’ex-épouse, qui ne peut désormais plus s’en prévaloir (Cass. Civ. 1re, 28 février 2006, n° 03-20.150).
Également, un conflit peut naître lorsqu’un héritier ou le conjoint survivant se réserve le droit de disposer du bien comme bon lui semble. Par exemple, le conjoint qui choisit la totalité en usufruit se protège puisqu’il continuera de vivre au domicile conjugal. Or, il empêche les héritiers réservataires d’en disposer pour une vente ou une location éventuelle. À l’inverse, si le conjoint veut vendre ou louer le bien, il est possible que tout ou partie des héritiers refusent. Dans les deux situations, des conflits peuvent surgir.