Tangui n’a plus de soucis à se faire, le fait d’habiter chez ses parents n’est pas nécessairement considéré comme une libéralité successorale, s’il prouve qu’il existe une contrepartie à cet hébergement.
A la lecture des quatre arrêts rendus conjointement par la chambre civile de la Cour de cassation, il s’avère qu’un don effectué de son vivant au profit d’un de ses héritiers n’est pas, dans l’absolu, considéré comme une libéralité au sens de l’article 843 du code civil et cela pour de multiples raisons que la cour rappelle dans ses arrêts.
Il faut entendre par libéralité, tout acte par lequel une personne procure à autrui, ou s’engage à lui procurer un avantage sans contrepartie. La donation ou le legs sont considérés comme des libéralités.
L’article 843 du code civil dispose que «Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale. Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n'ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu'en moins prenant.»
Toutes les libéralités, directes ou indirectes, doivent donc être rapportées à la succession et ce afin d’assurer l’égalité des héritiers. La libéralité suppose donc la conjonction d’un élément objectif (l’appauvrissement du donateur) et d’un élément subjectif (l’intention libérale), l’acte de don est donc lié à une volonté d’agir en ce sens. Ce rapport des dons et legs doit être établi lors de la succession du défunt donateur mais en aucune façon avant.
La jurisprudence considérait que toutes les donations indirectes (comme le fait de vivre dans la maison de famille soumise à succession) étaient soumises au rapport des dons et legs lors de la succession du donateur. La jurisprudence admettait cela sans tenir compte de l’intention libérale alors même qu’elle est requise par le code civil. Les quatre arrêts de la Cour de cassation viennent donc remettre en cause, à juste titre, cette jurisprudence pourtant largement critiquée.
Appréciation de la libéralité par la Cour
La Cour de cassation affirme donc que la détermination d’un don comme étant une libéralité soumise au rapport lors de la succession du donateur, doit s’effectuer en tenant compte de l’intention libérale et de l’appauvrissement de ce dernier. Dans un de ses arrêts, elle affirme que la mise à disposition non exclusive d’un immeuble au profit d’un héritier n’est pas nécessairement une libéralité s’il existe une contrepartie à cet hébergement, excluant ainsi toute intention libérale. Cet arrêt a conduit à la cassation de la décision d’appel et devra donc être rejugé.
Déjà la chambre civile avait estimé dans un arrêt du 3 mars 2010, que l’occupation gratuite d’un immeuble ayant appartenu au défunt pouvait être qualifié de frais de nourriture et d’entretien et, de fait, être exclue de tout rapport (Civ. 1re, 3 mars 2010, n°08-20.428).
Dans un des arrêts, l’héritier n’avait bénéficié que d’une occupation non exclusive de l’immeuble, les parents y vivant également. En outre il avait bénéficié d’une créance de salaire différée en raison de son activité non rémunérée au sein de l’exploitation familiale depuis longtemps. Or au vu de cela, il semblait difficile de voir dans cette jouissance du bien, une libéralité sujette à rapport.
Il s’avère en effet qu’il n’y a pas lieu à rapport si le bénéficiaire est soumis à des charges, l’avantage ne lui conférant aucun bénéfice.
Ces décisions relèvent donc unanimement l’importance de l’intention libérale comme condition d’admission d’une libéralité au sens de l’article 843 du code civil. La première décision énonce la nécessité d’établir l’intention libérale du disposant pour que soit exigé le rapport. La deuxième précise que les dispositions légales relatives aux fruits et revenus d’un bien en indivision sont étrangères au rapport des libéralités. La dernière énonce qu’il ne saurait y avoir de libéralité, en cas de travaux financés par l’usufruitier de l’immeuble, que dans le cas où il veut gratifier le nu-propriétaire. L’intention libérale doit être certaine.
Désormais pour qu’on admette un acte comme étant une libéralité, il faut rapporter la preuve d’une intention libérale.
En l’absence d’une telle intention, la mise à disposition non exclusive d’un immeuble en contrepartie de certaines obligations mises à la charge du donataire ne peut être qualifiée de libéralité rapportable.
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué ( Agen, du 22 septembre 2009 ) que, par acte notarié du 1er mars 1979, Paul X..., exploitant agricole, et Pauline Y..., son épouse, ont fait donation, à titre de partage anticipé, à l'un de leurs deux enfants, Jean, participant à l'exploitation en qualité d'aide familial non salarié depuis 1959, par préciput et hors part, de la nue-propriété d'un tiers de leurs biens, dont la maison d'habitation, avec stipulation d'une obligation, à sa charge, de soins et d'entretien des donateurs, et du surplus à leurs deux enfants ; que les époux X... sont respectivement décédés les 19 février et 11 octobre 1999 ; que Mme Yvette X..., épouse Z..., a assigné son frère en liquidation et partage des successions de leurs parents ; qu'elle a soutenu que celui-ci s'était rendu coupable de recel successoral et qu'ayant joui gratuitement de la maison servant aussi d'habitation aux défunts depuis 1959, il avait bénéficié d'un avantage indirect devant être rapporté aux successions ; que M. X... a demandé le règlement de sa créance de salaire différé ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal formé par M. X..., pris en ses deux branches, et le second moyen du pourvoi incident formé par Mme Z..., ci-après annexés :
Attendu que ces moyens ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en ses trois branches :
Attendu que Mme Z... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de rapport aux successions et communauté confondues de l'avantage indirect représenté par la jouissance gratuite de l'immeuble de Brisse, alors, selon le moyen :
1°/ que tout avantage indirect, dès lors qu'il entraîne une rupture objective d'égalité dans la situation des successibles, doit être rapporté ; que même en l'absence de caractère exclusif, l'occupation à titre gratuit d'un immeuble oblige son bénéficiaire à en rendre compte à ses cohéritiers ; qu'en opposant à la demande de rapport le fait que M. X... n'avait pas joui privativement de l'immeuble litigieux, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé l'article 843 ancien du code civil ;
2°/ qu'en statuant comme elle a fait, cependant que la donation faite à M. X... de la nue-propriété de l'immeuble litigieux moyennant la charge de s'occuper de ses parents excluait que l'exécution de cette charge pût caractériser le caractère rémunératoire de l'avantage indirect consenti à celui-ci, représenté par la jouissance gratuite dudit immeuble, la cour d'appel, qui a statué par un motif pareillement inopérant, a violé l'article 843 ancien du code civil ;
3°/ qu'en toute hypothèse, en statuant par ces seuls motifs, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, à tout le moins, la jouissance gratuite de l'immeuble litigieux antérieurement à l'acte du 1er mars 1979, et ce depuis le 9 septembre 1959, ne constituait pas un avantage indirect consenti à M. X..., dont celui-ci devait rapport à la succession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 843 ancien du code civil ;
Mais attendu que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession ; que la cour d'appel ayant admis que l'intention libérale des époux X... n'était pas établie, sa décision se trouve légalement justifiée ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille douze.
Cass. Civ 1re, 18/01/2012. n° 09-72.542