Votre parent défunt a rédigé peu de temps avant son décès un testament dans lequel il désigne un tiers comme légataire universel de ses biens. Cette libéralité éveille vos soupçons dans la mesure où, à cette époque, votre parent était dans un état physique et mental très dégradé. Vos doutes sont confirmés par l’écriture tremblée, la mise en page incertaine choisie par le testateur voire même des dispositions qui vous semblent en totale contradiction avec ce qu’il vous avait annoncé. Vous vous interrogez alors sur la validité d’un tel testament. Focus sur la possibilité de remettre en cause et d’annuler un testament sur le fondement de l’insanité d’esprit.
« Chapardage et héritage sont les deux mamelles de la richesse » (Louis SCRUTENAIRE)
En qualité d’héritier réservataire, vous êtes assigné par le bénéficiaire du testament olographe en délivrance de son legs.
Or vous trouvez que les conditions de remise dudit testament sont étranges … En effet, certaines anomalies vous sautent aux yeux : le testament a été adressé au notaire du légataire universel sans mandat du testateur alors que ce dernier était encore en vie… Comment expliquer le fait que le testament ait été confié par le légataire à son propre notaire ? En effet, compte tenu de l’âge avancé et de l’état physique et mental très dégradé de votre parent, il est fort probable que son notaire personnel, s’il avait été contacté à ce sujet, aurait pris l’initiative de solliciter une mesure de tutelle et se serait de facto interrogé sur la régularité d’un tel acte.
Le testament contient des dispositions contraires aux souhaits du défunt, l’acte effectué comporte des ratures, la date de rédaction du testament correspond étonnement au jour de sortie de l’hôpital de la personne vulnérable, le défunt vous avait promis depuis des années qu’un bien vous reviendrait alors qu’il est finalement légué à un cousin éloigné ou encore à un neveu, un des voisins du défunt a été gratifié par des bijoux, le testateur a fait une erreur sur les prénoms …
Tous ces éléments factuels conduisent à vous faire douter de la régularité d’un tel testament. Vous vous interrogez à cet égard sur les arguments juridiques pouvant remettre en cause l’acte en question. En effet, les juges ont considéré que les « corrections grossières d'orthographe chez un homme cultivé » dénotaient un affaiblissement de ses facultés mentales tandis que la répétition inconsciente de lettres et de syllabes constituait une manifestation de sénilité (En ce sens Cass. 1re civ, 17 janv. 1961).
De plus, les magistrats ont jugé que l'incohérence du contenu d'un testament ou le caractère déraisonnable de l'acte lui-même constituaient des éléments révélateurs de l'absence de lucidité ou de l'insanité d'esprit du disposant (CA Paris, 1re ch. B, 20 févr. 1987).
En tant qu’héritier réservataire, vous disposez d’une part légale vous revenant obligatoirement dans le patrimoine du défunt, il s’agit de la réserve héréditaire, celle-ci répond à deux objectifs : maintenir l’égalité entre les héritiers et protéger la famille contre des tiers qui auraient bénéficié de libéralités excessives.
En effet, très tôt, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a dans un arrêt du 17 décembre 1968 considéré que « L’héritier d’un réservataire peut demander, du chef de son auteur, la réduction d’une libéralité excessive, aussi bien lorsqu’elle a été faite à cause de mort, que lorsqu’elle l’a été entre vifs, seule hypothèse expressément prévue par l’article 921 ».
En nommant un tiers à la famille légataire universel, le testament litigieux, ne saurait trouver application du fait de l’atteinte évidente à la réserve héréditaire. En pareille situation, vous pouvez demander l’annulation du testament ainsi que la réduction du legs.
Vous devrez à cet égard rassembler la preuve de l’insanité d’esprit. Il convient de préciser que l’insanité d’esprit est fréquemment définie par les tribunaux comme étant « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant a été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée » (Cass. civ 1ère, 25 mai 1987 ; CA Paris 17 avril 2008). En d’autres termes, si le testateur ne dispose pas d’un discernement et d’une volonté suffisante ou s’il est privé de toute lucidité au moment de la rédaction du testament, celui-ci pourra être annulé sur ce fondement juridique.
À titre informatif, il convient de préciser que les héritiers réservataires pourront intenter deux actions dans une même procédure, l’action en contestation du testament pour insanité d’esprit au principal et au deuxième plan l’action en réduction.