Que se passe-t-il quand un collectionneur fait don de sa collection d’œuvres d’art à une fondation, cette donation étant assortie de conditions strictes à respecter ? Voici l’exemple d’une succession devenue source de conflits entre la Fondation et ses descendants, ces derniers considérant que la Fondation ne respecte pas les dernières volontés du défunt.
Dans l’affaire qui nous intéresse, la défunte, collectionneuse, avait effectué un don en 1976 (donation avec réserve d’usufruit) de son Palais situé en Italie et de l’intégralité de la collection présente dans le lieu, en faveur d’une Fondation. La donation avec réserve d’usufruit lui permettait de préparer sa succession, tout en conservant, de son vivant, le droit d’utiliser son bien comme elle l’entendait.
Cette donation a été assortie de conditions. En effet, la collectionneuse tenait à ce que l’emplacement de ses œuvres ne soit jamais modifié dans le Palais et le jardin. Au-delà de sa passion pour les œuvres d’art, l’agencement même, réalisé par ses soins, était devenu une œuvre. Il est ainsi compréhensible que, comme tout artiste, cette dernière souhaite que son œuvre soit respectée afin de laisser une trace de son passage.
La volonté de la collectionneuse était claire, selon ses héritiers, puisqu’elle avait même fait dresser un inventaire de 326 œuvres qui ne devaient jamais faire l’objet d’un prêt.
Avec des directives si manifestes, ses descendants ont eu à cœur au fil des années de se battre contre la Fondation pour faire respecter ses dernières volontés.
Dès les années 1990, les descendants du collectionneuse se sont aperçus que les directives laissées par la défunte n’étaient pas respectées par la Fondation. Aucun terrain d’entente n’étant possible, les tribunaux français (dont la compétente avait été reconnue) ont été saisis.
Les descendants avaient ainsi assigné la Fondation devant le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris en 1994, en demandant la remise en état intégrale de la collection et la révocation de la donation. Le TGI avait débouté les descendants de leurs demandes et ces derniers avaient interjeté appel, avant de se désister à la suite de la signature d’une transaction conclue en 1996 avec la Fondation. Cette dernière s’était engagée à solliciter l’avis des descendants avant toute modification de la collection du palais.
Or en 2013, lors de la Biennale de Venise (exposition internationale d’art contemporain, une des plus prestigieuses et anciennes d’Europe), les descendants se sont aperçus que les volontés de la défunte n’étaient toujours pas clairement respectées et qu’il y avait même une atteinte à sa sépulture.
En effet, ils ont fait constater par procès-verbal d’huissier que des œuvres avaient été déplacées et que sur les 181 œuvres exposées, 75 provenaient de la donation d’une autre famille. En outre, la collectionneuse était enterrée dans le jardin du Palais où figuraient de nouvelles sculptures appartenant à d’autres collectionneurs, ainsi qu’une plaque à leur nom. Cela constituait, selon les descendants, une violation de sépulture.
Face à ces constatations, les descendants ont à nouveau saisi la justice française en 2014 pour faire cesser le non-respect des volontés du défunt.
Les descendants ont formulé trois demandes auprès du TGI de Paris : la remise en état de l’intégralité de la collection, la suppression de toutes mentions relatives aux autres collections dans le Palais et le jardin, et la révocation de la donation.
Les juges ont considéré que ces demandes avaient déjà fait l’objet d’une décision en 1994, et que les demandes étaient irrecevables. Ils ont alors condamné les descendants à verser 30 000€ de dommages et intérêts au titre des frais de justice à la Fondation. Les héritiers ont contesté cette décision en appel.
Les juges de la Cour d’appel ont rejeté leurs demandes en considérant que le contenu de la transaction, qui était intervenue entre les deux parties, avait reconnu à la Fondation le droit exclusif du contrôle de la collection et de l'exposition des œuvres. Par ailleurs, la nécessité de gestion des œuvres n’imposait pas une obligation de « présentation constante de l'ensemble des œuvres de la collection » de la défunte, « incompatible, au demeurant, avec la nécessité de préserver et de restaurer certaines pièces ». Ils rejettent également les prétentions des héritiers sur la profanation de la sépulture en considérant notamment qu’aucune instruction précise n’avait été donnée par la défunte quant au choix et à l'aménagement de son lieu de sépulture et que l'apposition de plaques destinées à honorer d’autres donateurs ne portait ni atteinte à la sépulture ni à la mémoire de la défunte.
Cette affaire met en lumière les difficultés à gérer une succession lorsque des œuvres d’art entrent en jeu. L’organisation de la succession d’un collectionneur permet bien sûr d’optimiser la fiscalité et l’attribution des œuvres, mais aussi de défendre un idéal de diffusion de la culture.
Source : TGI Paris, 2 juill. 2014, n° 14/06216, Cour d'appel de Paris, Pôle 3, chambre 1, 23 Septembre 2015, n° 14/17631.