La création d’une fondation d’art pour gérer les droits et la poursuite de l’Œuvre d’un artiste est une idée qui a été envisagée par certains artistes afin d’organiser leur succession, ou bien par leurs proches afin de gérer au mieux les droits d’auteur et respecter les dernières volontés du défunt. La fondation d’art peut alors se voir confier un certain nombre de droit qu’elle pourra exploiter avec d’autres héritiers. Entre conflits d’héritiers et volonté de préserver son patrimoine, organiser sa succession lorsque l’on dispose d’un patrimoine artistique conséquent peut s’avérer complexe.
Selon la loi de 1987 sur le développement du mécénat, la création d’une fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes, physiques ou morales, décident d’affecter irrévocablement des biens et ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif. Ainsi, la fondation d’art permet une gestion efficace des droits d’auteur mais également de bénéficier de dispositifs fiscaux avantageux pour le donateur.
Dans le cadre d’une succession, les proches d’un artiste héritant de ses droits d’auteur peuvent décider de créer une fondation d’art consacrée au défunt afin de s’assurer que la promotion de son Œuvre sera pérenne et fidèle à ses dernières volontés.
Tel fut le cas pour le sculpteur Alberto Giacometti décédé en 1966. Sa femme, Annette Giacometti, décide de créer une fondation afin d’assurer le rayonnement de l’œuvre de son mari. Dans le but de soutenir la création de cette fondation, en 1988, l’association « Alberto et Annette Giacometti » fut créée pour cinq années et devait s’éteindre si la fondation n’était pas créée. Annette Giacometti ne connaîtra jamais son existence mais elle comptait sur Roland Dumas pour le faire, puisqu’elle l’avait désigné légataire universel par testament, avec notamment pour mission la création de la fondation.
Aujourd’hui, la Fondation Giacometti, reconnue d’utilité publique depuis 2003, possède 5/8 des droits patrimoniaux qu’elle gère en indivision avec les héritiers légaux d’Alberto Giacometti. Elle gère seule le droit moral (droit au respect du nom et de l’œuvre) de l’artiste contrairement au droit de suite (pourcentage du prix de revente d’une œuvre par un professionnel) qui ne peut être transmis qu’aux héritiers légaux, et qu’elle ne peut donc posséder.
La Fondation Vasarely, quant à elle, a été créée du vivant de Victor Vasarely, avec sa femme, et a été reconnue d’utilité punique en 1971. En effet, l’artiste aux origines hongroises souhaitait que ses œuvres reviennent à l’Etat français qui l’avait recueilli en 1930 et dont il était ressortissant depuis 1961.
Un Conseil d’administration est mis en place : Victor Vasarely occupant le poste de Président, sa femme celui de Vice-présidente, ses enfants André et Jean-Pierre étant membres de droits. Le Conseil compte également quatorze autres membres avec notamment trois représentants de l’Etat. Suite à des soucis de santé, Victor Vasarely va confier la gestion de la fondation en majorité à l’Université Aix-Marseille, par une convention signée en avril 1981.
Si le choix de créer une fondation d’art pour assurer la pérennité de son Œuvre selon ses dernières volontés apparaît comme une solution idéale, il apparaît à travers l’exemple de ces deux fondations, que les conflits de gestion des droits font parfois apparaître les intérêts mercantiles de certains ayants droits.
La succession de Victor Vasarely, décédé en 1997, a connu de nombreux rebondissements. Tout d’abord l’universitaire placé à la tête de la Fondation a été condamné le 11 mai 2005 par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence à deux ans de prison dont un avec sursis pour abus de confiance.
En 1995, les fils de Victor Vasarely estimant que leur réserve héréditaire avait été atteinte sont entrés en litige avec la Fondation, présidée alors par Michèle Taburno, la femme de l’un deux. Un arbitrage a été réalisé le 11 décembre 1995 permettant alors aux fils Vasarely de s’emparer de près de 400 œuvres appartenant à la Fondation. Cette sentence arbitrale a été annulée par la Cour d’appel de Paris le mardi 27 mai 2014 constatant qu’il y avait un « conflit d’intérêts entre les deux parties » et que « l’arbitrage doit être regardé comme un simulacre mis en place par les héritiers Vasarely pour favoriser leurs intérêts au détriment de la Fondation ». Cette décision fut d’ailleurs confirmée par la Cour de cassation le 4 novembre 2015.
Autre décision : le TGI de Paris le 31 décembre 2014, a exigé que les 200 œuvres emportées par Michèle Turbino aux Etats-Unis après le décès de son mari, devaient être rapatriées en France et confiées à la Fondation Vasarely. Cette dernière devra rembourser les héritiers indivis ayant été lésés par ses agissements, que ce soit en nature ou en valeur pour les œuvres vendues sans l’accord des fils de l’artiste. Par la même occasion les juges ont ordonné le partage judiciaire du patrimoine de l’artiste.
Une autre procédure pour recel et abus de confiance est également en cours au pôle financier du TGI de Paris, relative à l’arbitrage de 1995.
La Fondation Giacometti a elle aussi connu des déboires mais d’une autre nature. Lors du décès d’Annette Giacometti, Roland Dumas a été institué légataire universel avec pour principale mission la création de la Fondation. Cependant, le 10 mai 2007, la Cour de cassation confirme le jugement de la Cour d’Appel de Paris ayant condamné Roland Dumas à un an de prison avec sursis, 150 000 € d’amendes et 850 000 € dommages et intérêts à verser à la Fondation, pour détournement de fonds suite à la vente aux enchères de plusieurs œuvres d’Alberto Giacometti en 1994. Le commissaire-priseur Jacques Tajan, a lui aussi été condamné pour les mêmes faits. Un administrateur judiciaire de la succession est alors nommé par ordonnance du 1er juillet 1999, avec pour objectif la naissance de la Fondation.
L’administrateur a dû faire face à diverses difficultés et ce n’est finalement qu’en décembre 2003, que la Fondation Alberto et Annette Giacometti sera reconnue par décret d’utilité publique et verra enfin le jour.
Les successions d’artistes sont souvent source de conflits entre les divers ayants droits. Lorsque ce ne sont pas les intérêts mercantiles de certains, ce sont la gestion des droits d’auteur qui peuvent être à l’origine de querelle.