Bien que la situation reste rare, il arrive qu’un héritier apprenne au moment de la succession que son parent décédé a souhaité révoquer tacitement certaines donations effectuées au profit de son (ex) conjoint survivant. Est-il autorisé à poursuivre l’instance introduite par le défunt ?
Sachez que les cas de révocation de donations et des biens visés ont fait l’objet d’encadrements légaux et jurisprudentiels.
Avant l’entrée en vigueur des lois de 2004 et 2006 (n°2004-439 du 26 mai 2004 et n°2006-728 du 23 juin 2006), l’article 1096 du Code civil offrait la possibilité à l’auteur de donations entre époux réalisées durant le mariage de les révoquer dans leur totalité.
Désormais, ce même article 1096 du Code civil limite les cas d’annulation unilatérale des donations entre époux aux seuls biens futurs et pose des exceptions mentionnées aux articles 953 et 958 du Code civil. Ces articles autorisent la révocation de biens présents dans trois cas de figure seulement : pour inexécution des charges (paiement de frais, entretien, etc.) ; ingratitude (tentative de meurtre et/ou assassinat, violence…) ; et naissance d’enfant.
La révocation peut soit résulter de la volonté clairement exprimée par l’auteur de la donation soit être tacite, c’est-à-dire, déduite de son comportement (comme la rédaction d’un testament ou des libéralités faites au profit d’un proche portant sur les mêmes biens objets des donations).
La donation étant un acte personnel, propre au donateur, car elle le lie à la personne du bénéficiaire (le donataire), sa révocation ne pourra se faire que sur accord des parties ou de manière unilatérale que dans des cas exceptionnels. Cet acte ne pourra faire l’objet d’une transmission aux héritiers ; l’action en révocation s’éteint donc par le décès du donateur.
Nous vous proposons d’illustrer ce cas de figure par un exemple concret issu de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Une décision de la Cour de cassation en date du 4 novembre 2015 illustre ce sujet. L’un des époux avait engagé une action en révocation des donations faites à son conjoint, et ce avant le divorce. À son décès, ses héritiers ont poursuivi son action.
En 1977, un couple d’époux s’est marié en Serbie sous le régime français de la séparation de biens. Au cours du mariage, l’époux avait consenti de nombreuses donations au profit de son ex-épouse. Avant le prononcé du divorce en 2008, l’époux-donateur avait obtenu par jugement la révocation et la restitution des donations.
Le jugement a fait l’objet d’un appel par l’ex-épouse, donataire.
L’époux auteur de la donation étant décédé en cours de procédure devant la juridiction d’appel, les héritières (la seconde épouse du défunt et leur enfant commun) ont souhaité poursuivre l’instance.
Pour s’opposer à la reprise de l’instance par les héritières, les juges d’appel ont affirmé que le décès du donateur avait rendu le jugement non avenu, éteignant l’action en contestation des libéralités ainsi que l’instance devant la Cour d’appel. Autrement dit, la procédure d’appel n’existait plus en raison du décès.
Enfin, pour refuser la poursuite de la procédure, la Cour d’appel a relevé que le donateur n’avait pas exprimé de manière claire et sans ambiguïté sa volonté de rétracter les libéralités contestées. Ainsi, en raison du caractère personnel de l’action en révocation attachée à la personne du donateur, les demanderesses ne pouvaient agir en lieu et place de ce dernier.
La cassation intervient au double visa des articles 384 du Code de procédure civile et 1096 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à la loi de 2004). L’arrêt de la Cour de cassation rappelle que la révocation tacite peut se faire par tout moyen, notamment, à travers un acte manifestant une volonté claire et non équivoque de rétracter les donations réalisées. Qu’en l’espèce, il résultait de l’action en justice introduite par le donateur à l’encontre de son ex-épouse un acte de volonté incompatible avec le maintien des donations, autorisant ainsi ses héritiers à poursuivre son action.