Courtisée par les investisseurs, les entrepreneurs et les particuliers, la société civile immobilière (SCI) est devenue un mode courant de gestion du patrimoine qui permet notamment de transmettre des biens mobiliers et immobiliers dans le cadre d’une succession. Quelles règles faut-il cependant appliquer pour calculer les droits de succession lorsque la SCI est domiciliée à l’étranger et que les biens qu’elle détient sont situés en France ?
À l’ouverture d’une succession, de nombreuses interrogations, notamment sur le plan fiscal, peuvent surgir, notamment en ce qui concerne la déclaration des biens. Les choses se compliquent lorsque les héritiers apprennent que le défunt était détenteur de parts d’une société étrangère, qui elle-même était propriétaire de divers biens immobiliers situés en France. L’administration fiscale sera vigilante quant aux déclarations fiscales effectuées ou éventuellement omises concernant ce(s) bien(s).
Il faut savoir que les diverses dispositions codifiées au sein du Code général des impôts (CGI) déclinent différentes sortes de taxations et d’impositions selon les cas présentés.
Ainsi, à titre illustratif, l’article 990 D du CGI prévoit une taxation des entités juridiques détentrices de droits réels et/ou biens immobiliers en France ; la redevance étant calculée selon la valeur vénale desdits immeubles.
Certains biens immobiliers localisés en France sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit dès lors que le défunt n’y avait pas fixé son domicile fiscal (article 750 ter, 2° du CGI).
Enfin, en cas de cession de droits sociaux (parts sociales et actions), de participations dans des personnes à prépondérance immobilière, intervenant dans le cadre d’une succession, ces derniers peuvent également être soumis à un droit d’enregistrement (article 726 du CGI).
Toutefois, l’ensemble de ces articles précités n’aura vocation à s’appliquer qu’en l’absence de conventions ou traités fiscaux internationaux ou de dispositions contraires.
En présence de sociétés ou de particuliers de nationalité étrangère, résidant hors de France, il convient d’abord de rechercher s’il existe des conventions binationales, voire multilatérales, instituées pour éviter les situations de double imposition.
La fiscalité des successions internationales interroge beaucoup.
Contrairement aux juridictions administratives qui font une application du principe de subsidiarité (appréciation de la situation du contribuable selon le droit interne avant de se référer aux éventuels conventions et traités internationaux), les juridictions civiles préfèrent faire primer la hiérarchie des normes.
Autrement dit, pour les juges civils, la situation du particulier ou de l’entité sera dans un premier temps apprécié selon les conventions et/ou traités internationaux. Ce n’est qu’à défaut de dispositions particulières résultant de ces derniers que le droit national s’appliquera.
Cette divergence de position est source de conflit.
Cette question a été posée à l’occasion d’un arrêt émanant de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, rendu après renvoi sur cassation (Cass. Ass. plé 02 octobre 2015, n°K 14-14256).
À la suite du décès, en 2000, d’un résident monégasque, de nationalité marocaine, plusieurs héritiers ont été appelés à la succession. Ces derniers ayant découvert que leur proche parent était titulaire de parts sociales d’une SCI, elle-même détentrice de biens immobiliers en France, ont fait une déclaration de succession auprès des services français compétents.
Pour fonder sa demande de taxation des parts de la SCI et faire valoir l’existence de droits de mutation à titre gratuit, l’administration fiscale française a fait application de l’article 2 de la Convention franco-monégasque en matière de succession en date du 1er avril 1950.
Aux termes de cet article 2 précité, à condition que le défunt ait fixé sa résidence en France ou à Monaco, les immeubles et droits immobiliers détenus par lui sont soumis aux règles d’impositions de leur lieu de situation. La détermination du caractère immobilier devant être apprécié selon les règles de l’État où se trouvent les biens.
Dans l’arrêt d’espèce, les immeubles étaient situés en France et l’article 726, 2° du CGI donnait une définition de la prépondérance immobilière d’une société civile.
Les héritiers ont saisi les juridictions civiles pour s’opposer à l’application des règles fiscales françaises et ont sollicité l’application des règles monégasques plus favorables (au regard de l’article 6 de la Convention). Sur le fondement de la hiérarchie des normes, les juges du premier degré et les juges d’appel ont fait droit à leur demande en considérant qu’il n’y avait pas lieu à faire application de l’article 2 de la Convention, au motif que la SCI n’était pas une société d’attribution. La Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. Com. 09 octobre 2012, n°11-22023), saisie sur pourvoi formé par l’administration fiscale, a cassé l’arrêt d’appel, invitant la juridiction de renvoi à apprécier le caractère immobilier selon le droit interne.
La Cour d’appel de renvoi a réitéré la position adoptée par les premiers juges en procédant cette fois-ci à la qualification demandée par la Chambre commerciale. Pour rejeter l’application de l’article 2 de la Convention neutralisée par les dispositions de l’article 6, la Cour d’appel de renvoi a relevé que ce dernier article vise « spécifiquement les parts sociales ». L’administration fiscale a de nouveau formé un pourvoi en cassation pour contester cette décision.
La réunion de l’Assemblée plénière était devenue nécessaire à la suite d’un premier renvoi rendu ordonné après cassation.
Il en ressort que l’arrêt rendu et le raisonnement retenu par la formation plénière sont en totale opposition avec l’arrêt de la Chambre commerciale daté de 2012. Les juges de la Cour de cassation se sont référés au principe de la hiérarchie des normes pour faire application littérale de l’article 6 de la Convention franco-monégasque qui se réfère aux parts sociales comme des biens mobiliers (au sens de l’article 529 du Code civil) et non immobiliers, écartant les dispositions de l’article 2.
Cette solution se veut rassurante, encourageant même le recours à la SCI comme mode de transmission du patrimoine et outil d’optimisation fiscale (réduction des coûts de transmission ; des droits successoraux, etc.).
Malgré les nombreuses tentatives engagées par l’administration fiscale pour aboutir à une réforme de la Convention franco-monégasque en matière de successions et parvenir à une taxation selon les règles fiscales françaises des biens immobiliers situés en France, les juridictions civiles semblent encore s’y opposer.
Sources : « Convention franco-monégasque sur les successions : non-taxation des parts de SCI propriétaires d'immeubles en France ! » de Jean-Didier AZAINCOURT (Dalloz. AJ Famille 2015).